Sujet : bibliographie, auteur médiéval, médiévalisme, sources, actualité, éducation, littérature médiévale, manuscrit ancien Période : du Moyen Âge (XVe) à nos jours.
Auteur : François Villon Contributeur/Editeur : Robert Dabney Peckham, Société François Villon, Université du Tennessee.
Bonjour à tous,
omme chaque année, depuis plus de trois décades, l’éditeur universitaire américain, spécialiste de littérature française médiévale et Chevalier de l’Ordre des Palmes Académiques Robert D Peckham vient d’actualiser son très complet bulletin au sujet de François Villon.
L’actualité de Villon sous toutes ses formes
Avec 167 entrées, on trouve, tout à la fois, dans cette précieuse contribution 2020, des éléments biographiques actuelles sur l’auteur médiéval, entre références de recherches universitaires ou d’ouvrages, liens vers des manuscrits anciens, mais encore listing d’articles, de pages web, de vidéos ou de lectures audio.
Une belle découverte à la British Library
Entre de nombreux autres liens d’intérêt, cette 35ème édition du Bulletin de la Société François Villon relève notamment la découverte, en 2019, d’une copie de la Ballade joyeuse des taverniers de Villon, dans un manuscrit médiéval daté (voir photo). C’est, en effet, sur une page de garde du Harley MS 512, ouvrage consacré à De Proprietatibus Rerum, une encyclopédie rédigée au XIIIe siècle par le frère franciscain Barthélemy l’Anglais que les conservateurs de la British Library ont retrouvé cette ballade du grand maître de poésie. Dans un bon vieil argot d’époque, Villon se proposait d’y passer par les pires traitements, les taverniers ayant pour habitude de couper leur vin pour augmenter leur marge :
Que tous leurs corps fussent mis par morceaulx, Le cueur fendu, desciré par monceaulx, Le col couppé d’ung bon branc acherin, Descirez soient de truye et de pourceaulx Les taverniers qui brouillent nostre vin.
Extrait de la Ballade joyeuse des taverniers – François Villon
Le choix de l’exhaustivité
Quoiqu’il en soit, de l’élément le plus formel au plus iconographique ou même anecdotique, le choix de ce bulletin demeure toujours celui de l’exhaustivité. Il s’agit, en effet, pour le biographe, de dresser un panorama le plus complet possible des publications, mentions ou contributions autour de François Villon, sans faire de distinguo entre études universitaires et historiques, ou reconnaissance et tributs plus populaires.
Comme il le fait lui-même remarquer, ses travaux ont aussi le mérite de montrer combien Villon demeure un objet intense d’intérêt, d’étude et de curiosité. Avec des entrées répertoriées dans pas moins de 11 langues – anglais, français, allemand, espagnol, portugais, tchèque, polonais, hongrois, basque , japonais, roumain – ce bulletin établit, sans conteste, à quel point Villon est, encore de nos jours, un des auteur et poète médiéval les plus reconnus dans le monde.
Saluons ici, au passage l’opiniâtreté du très érudit chercheur américain. Comme nous l’avions déjà mentionné ici (voir article), Bob Peckham a en effet décidé, depuis quelques années déjà, de se consacrer entièrement à sa passion pour la musique, la poésie et la chanson. Entre deux concerts et compositions, il continue, pourtant, d’actualiser ce bulletin François Villon avec tout le travail de recherches méticuleux que cela suppose. Du reste, il ne fait pas que compiler des éléments biographiques sur Villon. À la lumière de ses longs et patients travaux et des découvertes modernes sur Villon, il appelle également de ses vœux, dans ce bulletin, à un véritable réexamen du canon et du corpus Villon.
En vous souhaitant une excellente journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
Sujet : poésie morale, poète satirique, poésie médiévale, politique, dits moraux, poésie courte, français moyen Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Henri Baude (1430-1490) Texte : le dict des pourquoy Ouvrage : Les vers de Maître Henri Baude, poète du XVe siècle, M. Jules Quicherat (1856),
Bonjour à tous,
ous vous avions présenté , il y a quelque temps, une biographie d’Henri Baude, ainsi que quelques vers de ce poète du Moyen Âge tardif. Aujourd’hui, nous revenons à lui pour continuer d’explorer, un peu plus avant, son oeuvre.
Le texte du jour est une poésie courte, morale et satirique, à la fois, qui porte le nom de « Dict des Pourquoi ». On peut trouver ce dit dans l’ouvrage de Jules Quicherat (op cité en tête d’article)dont nous avons déjà parlé également (voir biographie d’Henri Baude).
Un dit satirique sur fond de vécu
Quand on connait l’histoire de Baude et les tours pendables que le destin lui fit, en le jetant en prison à deux reprises, ce dict des Pourquoy semble résonner de toute la profondeur de son vécu. Ce « on » qu’emploie le poète tout du long, est-il vraiment celui du temps, du siècle ? Un « on » générique et anonyme ? Non. En réalité, il est bien plutôt celui du pouvoir royal et de la cour.
On le sait, par ailleurs, ce poète et petit fonctionnaire royal se veut loyal à son souverain. Il se compare même, dans un de ses rondeaux, à un bon limier, fidèle à son Prince, en toutes circonstances. Las ! ce genre de déclaration, c’est également assez notoire, n’a jamais suffi à écarter, devant leurs auteurs, tous les obstacles qui mènent aux faveurs des puissants. Avec ce dit et au delà du ton humoristique qui le traverse, Baude vient ainsi rejoindre la longue cohorte des auteurs satiriques médiévaux en mal de reconnaissance et que le pouvoir boude.
Notes sur la langue de Baude : du point de vue de la langue, nous nous rapprochons du français moderne. Ce français moyen étant largement plus intelligible, nous vous donnons simplement quelques clés de vocabulaire. Nous vous laisserons juger du style, nous le trouvons, quant à nous, d’une grande élégance et plein d’esprit.
Le Dict des Pourquoy de Henri Baude
Pourquoy ne pèse-t-on les pas Et les parolles inconstantes, Venerins (vénerie : chasse; venerien : de Venus) banquetz sans compas (sans mesure). Les mulletz qui vont pas à pas Et les gravitez (charges, autorités) non prudentes. Les sottes mynes ignorantes, Les cervelles des gens testuz, Aussi bien qu’on fait les escuz ?
Pourquoy ne prise-t-on les saiges Qui sçavent taire et bien parler. Les justes humbles sans oultraiges. Modérez en faictz et langaiges, Qui ne sèment rumeurs par l’er Et ne désirent riens qu’aller Le droit chemin à tous propoz. Aussi bien qu’on prise les sotz ?
Pourquoy ne sont favorisez Les loyaulx et vaillans preudhommes. Et que ne sont auctorisez Les sachans (1) (qui sont mesprisez) Et pourveuz selon leurs personnes, Qui n’ont opinions que bonnes Et dont les façons sont honnestes. Aussi bien qu’un grant tas de bestes?
Pourquoy ne porte-t-on honneur A ung homme de bon courage, Qui vault et sçait sans deshonneur, Et qu’on ne lui donne faveur Selon que vault le personnage ? Que ne luy fait-on advantaige Publiquement ou à l’esquart Aussi bien comme à ung coquart (fanfaron, sot, niais) ?
(1) Sachans : Instruit, qui a de la science , de l’expérience, du savoir-vivre. Dictionnaire Godefroy court & Anc français Hilaire Vandaele.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : poésie morale, poète satirique, poésie médiévale, politique, lois, dits moraux, poésie courte, français moyen Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Henri Baude (1430-1490) Ouvrage : Les vers de Maître Henri Baude, poète du XVe siècle, M. Jules Quicherat (1856),
Bonjour à tous, n continuant notre exploration de la littérature médiévale, voici quelques vers bien tournés de Henri Baude, poète du Moyen Âge tardif. Ils sont extraits de ses Dictz moraulx pour mettre en tapisserie. Ces petites historiettes, qui ne constituent qu’une partie de son oeuvre, mettaient en scène des personnages variés. Elles étaient destinées à être brodées ou même encore des peintes sur du verre ou d’autres objets décoratifs.
Le bon homme et la toile d’araignée
Ung bon homme regardant dans ung bois ouquel a entre deux arbres une grant toille d’éraigne. Ung homme de court luy dit :
— Bon homme, diz-moy, si tu daignes, Que regarde-tu en ce bois?
LE BON HOMME.
Je pence aux toilles des éreignes Qui sont semblables à noz droiz : Grosses mousches en tous endroiz Passent; les petites sont prises.
LE FOL.
Les petitz sont subjectz aux loix. Et les grans en font à leurs guises.
Dictz moraulx pour mettre en tapisserie Henri Baude
Henri Baude, esquisse de biographie
Suivant ses biographes ( Jules Quicherat et Pierre Champion ), Henri Baude est né autour de 1430, à Moulins. Il est donc contemporain de François Villon même s’il a vécu bien plus longtemps que ce dernier.
Les mésaventures d’un petit fonctionnaire, poète satirique à ses heures
L’histoire n’est pas très précise sur son éducation mais on retrouve Buade à l’âge adulte, commis à la cour. Au moment de la praguerie, il a tout d’abord suivi le dauphin Louis XI, alors prince, dans le conflit qui l’opposait à son père Charles VII. Finalement, le fonctionnaire royal changera d’avis et reviendra vers la couronne officielle. Cela peut, peut-être, expliquer sa nomination en 1458, comme « élu » attaché à la cour du roi. La fonction consistait à répartir l’impôt, mais aussi à collecter et traiter les réclamations sur ce même thème. Henri Baude était en charge au bas Limousin mais comme il disposait d’un commis, il passait le plus clair de son temps à Paris. Installé à la capitale, il pouvait, tout à loisir, suivre de près les affaires qui concernaient sa charge et ses plaignants et houspiller les juges quand ils traînaient trop à les traiter.
Comme il était aussi doté d’un véritable talent de plume et d’humour, Baude ne se priva pas de les exercer. Il faisait même alors partie d’une confrérie de juristes et clercs qui occupaient une partie de leurs loisirs à se moquer entre eux ou à se rire de certains nobles et notables. Plus tard, son goût de la satire et du bon mot allait d’ailleurs lui valoir quelques sérieux déboires.
Henri Baude au Châtelet
En réalité, le poète connut deux fois la prison. Dans les deux cas, le temps avait passé et Louis XI, le prince que Baude avait suivi, puis lâché, était devenu roi. La première affaire n’est pas très claire sur le fond, même s’il subsiste un certain nombre de documents juridiques à son sujet. Baude semble avoir servi de bouc-émissaire à un noble qui le fit embastillé manu militari, après l’avoir sérieusement fait molester. Le poète fonctionnaire parvint toutefois à se faire libérer et à avoir gain de cause, en obtenant même, au passage, des dédommagements.
Dans la deuxième affaire, c’est une poésie satirique qui le fit mettre en prison, sur ordonnance royale. Le texte précis s’est perdu, mais on peut en déduire la teneur entre les lignes du poète et des sources juridiques. Baude avait fait, semble-t-il, une courte « moralité » pour moquer les manœuvres et les jeux de pouvoir à la cour et autour de Louis XI. Bien qu’allusive, de nombreux courtisans de l’entourage du souverain s’étaient sentis directement visés, ce qui valut à notre homme d’être à nouveau emprisonné. Voila ce que l’on trouve rapporter dans l’audience de 1486 : « Aucuns, soubz umbre de jouer ou faire jouer certaines moralitez et farces, ont publiquement dit ou fait dire plusieurs parolles cedicieuses, sonnans commocion, principalement touchant a nous et a notre estât. »
Pour avoir le détail des deux affaires, on pourra se reporter aux écrits de Pierre Champion sur le sujet : Histoire poétique du quinzième siècle, t 2, Honoré Champion (1923) et Maître Henri Baude devant le Parlement de Paris, Romania, n°141 (1907). A son habitude, le grand historien, passionné de Moyen Âge, y épluche les archives avec minutie et fait un travail d’orfèvre pour remonter l’identité des acteurs impliqués et leur interrelations.
Dans tout les cas, on peut se demander si Henri Baude ne paya pas, indirectement, le prix de son soutien un peu trop épisodique au prince Louis XI, sous la praguerie. Si, après son couronnement, le monarque n’avait pas démis le fonctionnaire de sa charge, il ne semblait pas, non plus, lui montrer de soutien particulier, et encore moins d’empathie. Il ressort, en tout cas, de ce dernier séjour en prison, que Baude en sortit échaudé et rendu plus méfiant sur l’usage qu’il faisait de sa liberté d’expression. Au Moyen Âge, la poésie satirique est rarement compatible avec les exigences de cour et les susceptibilités qu’on y croise. Le dit moral de l’auteur, publié ici, résonne un peu comme une sorte d’écho à ses diverses mésaventures.
Les œuvres de Baude
Elles sont assez fournies et de nature principalement morale ou satirique. On retrouve le plus grand nombre d’entre elles dans l’ouvrage que le médiéviste Jules Quicherat a consacré à Baude au milieu du XIXe siècle. Ce dernier confesse, toutefois, en avoir censuré quelques unes dont la nature lui paraissait trop verte et trop grossière pour présenter un réel intérêt. A 160 ans de là, on aurait aimé pouvoir en juger nous-mêmes.
Dans les œuvres de Baude, on a souvent mis en avant son Testament de la mule Barbeau . Dans cette satire humoristique, l’auteur se met dans la peau d’un pauvre animal, vieilli et éreinté, ayant servi de nombreux nobles et puissants au cours de sa vie. Aux côtés de ce testament, on trouve encore nombre de poésies d’intérêt dans lesquelles l’auteur médiéval montre de belles aptitudes de plume. Ce talent semble, du reste, avoir été reconnu du temps de Baude et son biographe lui prête d’avoir inspiré certains de ses contemporains. On a même pu, alors, le comparer à Villon. Un peu plus tard, Clément Marot aurait aussi été sujet à cette influence sans s’en réclamer. Le poète de Cahors aurait, en effet, « pillé » (le mot est de Quicherat) certaines des pièces de Baude sans le citer.
Du point de vue des sources, les écrits de Baude se trouvent réparties dans plusieurs manuscrits médiévaux mais on notera, avec intérêt, l’ouvrage dont est tiré cette poésie courte du jour et son illustration (voir en haut de l’article).
Daté du XVIe siècle, le manuscrit Français 24461 (ancienne cote La Vallière 44) est, en effet, un manuscrit de 142 feuillets très joliment illustré (Consulter le Ms Français 24461 sur le site de la Bnf ). En plus des diz moraux pour tapisserie et peinture sur verre de Baude, il contient d’autres auteurs et classiques. On y trouve, notamment, Les triomphes de Pétrarque.
En vous souhaitant une excellente journée.
Fred
pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes
Sujet : poésie médiévale, rondeaux, auteurs médiévaux, poètes, amour courtois, humour, loyal amant, poésie satirique Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Blosseville Manuscrit ancien : MS français 9223 Ouvrage : Rondeaux et autres poésies du XVe siècle de Gaston Raynaud (1889)
Bonjour à tous,
u milieu du XVe siècle, à la cour de Charles d’Orleans, on versifiait sans bouder son plaisir. Au petit cercle qui entourait le prince, auquel la bataille d’Azincourt et ses conséquences avaient ravi la couronne, venait se joindre des nobles de passage. A la faveur d’un concours, le temps d’un dîner ou d’une soirée, tout ce petit monde s’adonnait à l’exercice du style et de la rime.
Poésie de cours et jeux poétiques
Fallait-il qu’on aime la langue ? Le talent de plume du noble, amoureux des arts et des lettres, semblait étendre, sur tous, comme une aura d’inspiration. Les sujets pouvaient être sérieux. Pourtant la poésie savait y prendre, aussi, un tour de légèreté qui trouverait, peut être même, quelques échos, jusque sous François 1er, avec des Clément Marot ou des Melin Saint Gelais, avant que les poètes un peu guindés de la pléiade ne s’en mêlent pour tenter d’en faire une affaire sérieuse.
Bien sûr, longtemps avant tout cela et dès le XIIe siècle, il y a avait eu les jeux partis des troubadours et des trouvères, les sirvantois, les farces et les choses ne sont pas si tranchées. Sous la plume de certains auteurs, la poésie du Moyen Âge central avait aussi ses aspects ludiques et elle permettait déjà de rire et de se divertir dans les cours. Pourtant, la première moitié du XVIe siècle fera souffler sur elle, comme un vent de dilettante et d’amusement qui lui est propre. Les mœurs changeront alors et peut-être, avec elles, une certaine relation au langage. En nous avançant un peu, il nous semble déjà trouver dans certaines des poésies de cette cour d’Orléans au XVe, un peu de cet esprit nouveau, même si les textes n’ont pas non plus la grivoiserie ou l’impertinence de ceux qu’on trouvera au XVIe.
Blosseville et l’amour courtois :
entre contre-pieds et désillusions
Vers la fin du XIXe, l’archiviste paléographe Gaston Raynaud eut la bonne idée de retranscrire le manuscrit MS Français 9223, dans une graphie accessible pour ses contemporains. Daté du XVe siècle, cet ouvrage contient un grand nombre de poésies de la cour de Charles d’Orléans et on peut y débusquer, en plus de certains textes de ce dernier, quelques auteurs de qualité que la postérité n’a pas retenus. C’est le cas de Blosseville, homme de lettres non dénué de style et d’humour, dont nous vous avions déjà présenté une ballade ironique sur les loyaux amants véritables.
Trois rondeaux choisis de Blosseville
Le Français 9223 nous gratifie d’un nombre important de poésies signés de la main de cet auteur. Les thèmes du loyal amant et du sentiment amoureux y reviennent fréquemment et ce poète médiéval nous gratifie, souvent, d’une posture désabusée, voire grinçante, à leur encontre. Les contre-pieds qu’il fait à la Fine amor sont même pour tout dire rafraîchissants et nous changent, en tout cas, des habituelles ritournelles sur le sujet. Pourtant, quelques-uns de ses rondeaux montrent aussi l’homme sous un jour tout à fait classique : dans le rôle de l’amant contrit, rejeté par sa dame, avec l’habituelle panoplie courtoise de circonstance, etc…
Blosseville connaissait-il quelques déboires amoureux ? Certaines de ses poésies semblent le suggérer mais, peut-être au fond, tout cela n’est-il qu’un exercice littéraire et, peut-être qu’après tout, notre auteur ne fait-il que feindre tout du long. Le troisième rondeau que nous avons choisi plaiderait plutôt en ce sens. Fine amant rendu amer par l’échec ? Observateur ironique et aguerri ? Ou simplement poète appliqué à se couler au mieux dans l’exercice de la courtoisie ? On en jugera. Il semble en tout cas que les règles de la courtoisie inventées et promulguées par le Moyen Âge aient la dent dure. Entre adhésion ou rejet, leur norme reste, quoiqu’il arrive, le point de référence autour duquel l’on gravite.
A tord le nommez paradis
A tord le nommez paradis, L’enfer(s) d’amours, s’aucune joye Vous n’y trouvés qui vous rejoye, Ou par beaulx faiz ou par beaulx dis.
Quant est a moy, nommer le veux Le purgatoire des loyaux, Qui ont leans* (là dedans, en cette matière) voué mains veux, Par quoy ilz souffrent plusieurs maux.
Je le congnoys tant de jadis, Que se nullement je savoye, Voulentiers plus j’en mesdiroye : Pardonnez moy, si je le dis : A tort le nommez paradis.
Bien grand dommaige
Se me semble bien grant dommaige Que n’avez en vous leaulté Autant comment a de beauté Vostre corps et vostre visaige.
Se coeur avez tant fort volage, Qu’en lui n’a que desleauté, Se me semble [bien grant dommaige.]
Vous ne maintenez tel oultraige Enverz moy pas de nouveauté, Et, qui pis est, sans cruaulté N’est jamais vostre fier couraige Se me semble [bien grant dommaige.]
Pour contrefaire l’Amoureux
Pour contrefaire l’amoureux, Je foix ainsi le douloureux Que ceulx qui sont en grant chaleur! Sy n’ay je ne mal ne douleur, De quoy je me tiens bien heureux.
Lays ! j’entretiens les maleureux, Que seuffrent les maulx rigoreux, Et changent souvent de coulleur, Pour contrefaire [l’amoureux.]
Ce de quoy sont tant desireux, Plusieurs foys, je le sçay par eux, Car il me comptent leur malheur, Cuidant* (en croyant, en pensant) que je soye des leur. Dont je me sens plus rigoureux Pour contrefaire [l’amoureux.]
En vous souhaitant très belle journée.
Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes