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Agenda : Apotropaïk ou le Moyen-Age en musique, au musée de Cluny

evenement_concert_musiques_medievales_polyphonique_musee_cluny_moyen-ageSujet : agenda, musiques médiévales, concert, ensemble médiéval, Ottaviano Petrucci, Harmonice Musices Odhecaton, musiques polyphoniques, chansons polyphoniques, école franco-flamande
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle
Lieu :  Musée de Cluny, Paris 5eme
Dates : dimanche 18 février 2018 à 16h00 et lundi 18 février 2018 à 12h30
Ensemble  : Apotropaïk, Autour de 1500

Bonjour à tous,

Sur l’agenda médiéval, le Musée de Cluny vous propose ce dimanche et ce lundi une incursion au coeur de la musique du moyen-âge tardif.  Au programme, deux concerts du jeune ensemble médiéval Apotropaïk, autour des compositeurs de l’école franco-flamande de la fin du XVe siècle.

Ottaviano Petrucci
et le Harmonice Musices Odhecaton

I_lettrine_moyen_age_passion copiamprimeur vénitien de la toute fin du moyen-âge, Ottaviano Petrucci (1466-1539) a marqué l’histoire musicale du XVe et du XVIe siècle par ses productions.

Dès 1501, il publie un ouvrage qui fera date : le Harmonice Musices OdhecatonAvec ses quatre-vingt seize pièces, cette anthologie musiques_medievales_polyphoniques_moyen-age_tardif_ecole_franco_flamande_Ottaviano-Petrucci_Harmonice_Musices_Odhecatonsera, en effet, le premier du genre dans le domaine de la musique polyphonique. En plus de cet ouvrage de référence, on doit encore au vénitien, entre chansons polyphoniques, frottoles italiennes, ou encore pièces pour luth, motets, messes, autour de soixante publications. Par ses choix éditoriaux autant que par ses techniques d’impression novatrices et le large succès de ses livrets et recueils, Ottaviano Petrucci consacra l’importance majeure de l’école franco-flamande  dans la culture musicale européenne de son temps.

Ce dimanche et ce lundi, le Musée de Cluny et l’ensemble Apotropaïk vous convie donc à la découverte d’un nombre choisi de compositeurs de cette école mis à l’honneur par Petrucci dans son Harmonice Musices Odhecaton. (pour réserver voir le lien en pied d’article)

Apotropaïk,
le jeune ensemble médiéval qui monte

Avec une palette d’instruments anciens variées, harpe gothique, vièle à archet, luth médiéval, flûtes à bec et encore voix, le quatuor Apotropaïk se centre sur un répertoire musical qui puise ses premières inspirations dans les manuscrits et la musique du XIIIe siècle, pour s’étendre jusqu’aux débuts de la renaissance.

Le parcours de ce jeune ensemble, dédié aux musiques médiévales et anciennes et formé il y a un peu plus de deux ans, se place déjà sous les meilleurs auspices.  Depuis sa première prestation, fin 2015, à l’occasion de la Nuit de Corée, organisée par le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de LyonApotropaïk a été choisi l’année dernière, par ce dernier, pour le représenter, dans le cadre du projet interculturel « Transcultural Confluence ». Tout récemment, en novembre 2017, la formation a également reçu le premier prix du Concours International des Journées de musiques anciennes de Vanves.

agenda_evenement_musique_anciennes_medievale_Apotropaï_concerts_musee_cluny_moyen-age_tardif_XVe

A ce jour, l’ensemble médiéval et renaissant propose des programmes   qui vont du moyen-âge italien, aux danses et chansons de la cour du Bourgogne du XVe ( Guillaume Dufay, Gilles  Binchois, Manuscrit d’Oxford ou MS Canonici 213 ), en passant par le  Chansonnier du Roi, le MS fr 844 que nous connaissons bien ici et des compositeurs comme Jeannot de LescurelGuillaume de Machaut  ou encore Adam de la Halle.


Voici des liens utiles pour suivre leur actualité et mieux les découvrir:  Facebook  – Site web –  Soundcloud


Ajoutons que concernant sa venue, cette fin de semaine, au Musée de Cluny, le quatuor n’en est pas à son galop d’essai. C’est en effet la troisième fois que l’institution leur fait confiance et leur ouvre ses portes dans le cadre de ses concerts-rencontres du Centre de musique médiévale de Paris.

Concert d’Apotropaïk   au Musée de Cluny,
programme, informations & réservation ici
 
 

En vous souhaitant une belle journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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La Ballade des femmes de Paris de Villon, éloge du parler parisien du XVe siècle

poesie_litterature_medievale_realiste_satirique_moral_moyen-ageSujet : poésie médiévale, ballade médiévale,  humour médiévale, auteur, poète médiéval. moyen-français
Auteur : François Villon (1431-?1463)
Titre : « Ballade des femmes de Paris »,
Le grand testament,
Période : moyen-âge tardif, XVe siècle.
Ouvrages : diverses oeuvres de Villon,  PL Jacob  (1854) , JHR Prompsault (1832), Pierre Champion (1913)

Bonjour à tous,

B_lettrine_moyen_age_passionien que dramatique sur le fond, le Grand testament de François Villon regorge aussi d’humour et de ballades plus légères. Certaines de ces pièces ont sans doute été composées plus avant dans le temps, et ont été réintégrées après coup, dans le fil du Testament,  par l’auteur lui-même (sur ce sujet, voir entre autres, Sur le testament de Villon, Italo Siciliano, revue romania, Persée)

Légèreté et humour, c’est donc là que la Ballade des femmes de Paris que nous publions aujourd’hui, nous entraîne, pour une éloge du « talent » langagier des parisiennes d’alors et de leur verve, avec son refrain resté célèbre : il n’est bon bec que de Paris. « Reines du beau-parler, souveraines du caquet » comme le dira l’historien Pierre Champion dans son ouvrage François Villon sa vie et son temps, il y dépeindra aussi un poète, sillonnant les rues de la rive universitaire de Paris, à l’affût des belles bourgeoises, de leurs charmes et de leurs atours « coquettes, enjouées, charmantes, mises avec recherche ».

Tout cela  étant dit, au vue des fréquentations et de l’univers dans lequel  Villon aimait à évoluer, en fait de beau français châtié et bourgeois, il est bien plus sûrement question dans cette ballade de deco_poesie_medievale_enluminures_francois_villon_XVe_sièclelangage de rue : un parler vert et canaille, teinté d’accent, de répartie et de gouaille, comme on le pratiquait alors. Nous en trouverons d’ailleurs la confirmation sous la plume de  Pierre Champion, plus loin, dans le même ouvrage :

« Quand nous les possédons encore, les registres des anciennes justices de Paris nous font connaître les commérages, les médisances qui devaient bien exciter la verve du poète. On y parle vertement. Les femmes de Paris, qui ont décidément « bon bec » sont promptes à se dire des injures, à se traite de sanglantes lices, des chiennes, de filles de chien, de paillardes, de ribaudes, de prêtresses… »
Pierre Champion, opus cité, Tome 1er (1913)

Bien que le français « standard » soit en général réputé avoir pour origine Paris, il faut sans doute, là encore, faire quelques différences entre le parler bourgeois et celui de la rue. Pour ce qui est de l’accent du Paris d’alors, on trouvera quelques éléments dans un ouvrage postérieur à la composition de cette ballade médiévale de Villon, signé de la main de l’éditeur, imprimeur et artiste  Geoffroy Tory :

« Au contraire, les dames de Paris, en lieu de A prononcent E quand elles disent : Mon mery est à la porte de Peris et il se fait peier »  Champfleury (1539).

Loin de ces parisiennes gouailleuses et dans un registre plus lyrique, en 1910, le compositeur Claude Debussy inclura cette poésie à ses trois ballades de François Villon.

francois_villon_ballade_femmes_de_paris_poesie_medievale_moyen-age_tardif

Ballade des femmes de Paris

Quoy qu’on tient belles langagières* (parleuses)
Florentines, Veniciennes,
Assez pour estre messaigières (1),
Et mesmement les anciennes ;
Mais, soient Lombardes, Rommaines,
Genevoises, à mes perilz,
Piemontoises, Savoysiennes,
Il n’est bon bec que de Paris.

De beau parler tiennent chayères (2) 
Ce dit-on, les Napolitaines,
Et que sont bonnes cacquetoeres
Allemanses et Bruciennes ;
Soient Grecques, Egyptiennes,
De Hongrie ou d’autre pays,
Espaignolles ou Castellannes,
Il n’est bon bec que de Paris.

Brettes* (Bretonnes), Suysses, n’y sçavent guères,
Ne Gasconnes et Tholouzaines ;
Du Petit-Pont deux harangères
Les concluront, et les Lorraines,
Anglesches ou Callaisiennes,
(Ay je beaucoup de lieux compris ?)
Picardes, de Valenciennes ;
Il n’est bon bec que de Paris.

ENVOI.

Prince, aux dames parisiennes
De bien parler donnez le prix ;
Quoy qu’on die d’Italiennes,
Il n’est bon bec que de Paris.

(1) « ambassadrices » pour Prompsault, « entremetteuses » pour PL Jacob
(2) Siège réservé à des dignitaires, puissants, religieux. origine de Chaire. 


Même si nous sommes déjà dans d’autres temps, plusieurs siècles après Villon, la tentation reste grande, à la lecture de cette ballade, d’évoquer des Piaf, des Monique Morelli ou encore des Arletty, en pensant à ces « bons becs de Paris ».

 En vous souhaitant une très belle journée.
Frédéric EFFE.

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François Villon, la bible en ligne avec la bibliographie exhaustive de Robert D. Peckham

françois_villon_poesie_francais_moyen_ageSujet : François Villon, Bibliographie, site d’intérêt, poésie médiévale, médiévalisme, manuscrits anciens, sources bibliographiques
Période : du Moyen Âge tardif (XVe) à nos jours.
Auteur/EditeurRobert Dabney Peckham

Bonjour à tous,

D_lettrine_moyen_age_passionepuis plus de 30 ans, Robert Dabney Peckham, docteur en philosophie, précédemment professeur émérite et chercheur en littérature, civilisation et langue française à l’Université de Tennessee, à Martin aux Etats-Unis, s’est évertué, entre autres activités, à répertorier toutes les parutions existantes autour de François Villon. On lui doit d’ailleurs entre autres parutions sur le sujet, une bibliographie exhaustive parue en 1990 aux Editions Garland (Library of the Humanities).

Du Villon médiéval
au médiévalisme autour de  Villon

Loin de se limiter aux manuscrits anciens ou aux biographies et études critiques autour de l’auteur médiéval, les travaux de Robert Peckham  couvrent toutes les formes que l’oeuvre de Villon a pu et peut encore prendre à travers le monde : littéraires, cinématographiques mais aussi toponymiques, culturelles, populaires, iconiques, anecdotiques, etc… Son intérêt va donc de l’approche de Villon dans le texte et dans son contexte médiéval jusqu’au Villon « représenté », « recrée », « instrumentalisé »,  « fantasmé » par notre monde moderne. Autrement dit, le médiévalisme autour du poète l’a également interpellé. De fait, on en comprend bien l’intérêt puisque les formes, même les plus distantes en apparence de l’oeuvre du maître de poésie médiévale ou de sa personne, ont encore beaucoup à nous apprendre sur ce dernier, autant que sur les représentations modernes que nous nous en faisons.

francois_villon_bibliographie_poesie_medievale_moyen-age_tardif_medievalisme_robert_peckham_bibliographe_sources_articlesIl s’agit donc là d’un travail de fond et de systématisation unique et Robert D. Peckham est reconnu pour sa grande expertise dans ce domaine. En plus de ses propres publications, il a apporté sa contribution dans nombres d’ouvrages et articles, principalement en langue anglaise.  Pour plus de détails sur ses parutions ainsi que ses nombreux titres, vous pouvez utilement vous reporter à  ce lien.

Pour n’en citer que quelques unes, on pourra mentionner dans l’ouvrage « Medievalism in North America« ,  publié par Kathleen Verduin en 1994, l’article « Villon in America » dans lequel  le chercheur américain nous entraîne à sa suite, dans un passionnant voyage à la découverte de la destinée américaine de l’oeuvre de François Villonde ses premières traductions anglaises  au milieu du XIXe siècle jusqu’à ses adaptations les plus modernes, en passant par les « imitations » poétiques de Robert Lowell un peu avant les années 60.

On peut encore citer ici l’article « Villon’s electronic future » dans: Villon at Oxford: The drama of the text. Proceedings of the conference held at St-Hilda’s-College, Oxford, March 1996 (ouvrage que nous avons déjà mentionné à l’occasion d’un post sur le « je » poétique au XVe siècle et à propos de Michault Taillevent et Villon). Aux premiers pas d’internet, Robert Peckham traçait, dans cette contribution, un véritable plan d’action pour inventorier la présence en ligne de Villon et pour tirer partie le meilleur partie de ce média. On y mesurait déjà toute l’ampleur de la tâche autant que les ambitions du bibliographe. Dans la continuité de cet article, il a d’ailleurs mis en oeuvre sans attendre son plan d’action en créant la Société François Villon et son site web.

Le site web de la « Société François Villon »
Inventorier Villon sous toutes ses formes

Toujours opérationnel, vingt ans après que son auteur et éditeur en ait défini les grandes lignes, le site web de la Société François Villon a donc pour ambition d’être un véritable lieu d’échange, d’informations mais aussi, bien sûr, d’inventorier régulièrement de nouveaux liens et de nouvelles parutions imprimées, électroniques et digitales autour du grand maître de poésie médiévale.

francois_villon_poesie_medievale_bibliographie_liens_references_medievalisme_robert_peckhamComme  Robert Peckham a pris le parti de l’exhaustivité, les liens couvrent de vastes domaines en relation à Villon. Ils sont  aussi identifiés à travers le monde et couvrent des écrits dans plus de 16 langues. En relation avec l’objectif défini, ils ne sont pas tous « académiques », l’intérêt restant bien d’embrasser l’œuvre de Villon au sens le plus large possible. Pour reprendre les propres mots de Robert Peckham qui exprimait déjà en 1996 l’ambition à laquelle il s’est tenu depuis :

« Bien sûr, tous ces documents ne seront pas d’une nature savante.  Certains tombent dans la catégorie (avec un petit « c ») de l’iconographie culturelle et sont les validateurs inconscients du statut de Villon, en liant le distant à un présent ou un passé récent plus accessibles. En vérité, tandis que Villon pourra fournir aux étudiants de littérature française un matériel de lecture canonique et de riches moments de vie intellectuelle pour un universitaire, pour l’homme moyen, c’est un bar sur la rue Wiener à Kreuzberg, un magasin de chaussures à Montréal, un night club à Bruxelles, ou le Caveau François Villon, un bistrot de la rue de l’Arbre Sec à Paris. …. » 

Robert D. Peckham « Villon’s electronic future », Proceedings of the conference held at St-Hilda’s-College, Oxford, 1996 (trad moyenpassion

restaurant_francois_villon_medievalisme_poesie_medievale(Photo devanture du restaurant
François Villon à Lyon )

En relation avec le travail éditorial entrepris et les nombreuses ressources identifiées (plus de 500 liens), le site propose encore régulièrement un bulletin actualisé de ses nouvelles trouvailles. Du reste, nos articles sur François Villon n’ont pas échappé à la sagacité de ce grand bibliographe américain puisque leurs liens sont même intégrés au dernier bulletin. Avec un petit ou un grand c, l’histoire ne le dit pas, mais nous sommes quoiqu’il en soit, ravis. de les y savoir présents.

Pour le reste, en un mot comme en cent, si vous aimez Villon et que vous vous y intéressez de près ou de loin, ce site est une référence incontournable sur cet auteur médiéval. Pour des recherches poussées ou même, par simple plaisir, on peut y flâner des heures durant, en découvrant sans cesse de nouvelles choses.

Lien vers le dernier bulletin de la Société François Villon

De la vie à la scène

robert_peckham_francois_villon_bibliographie_poete_auteur_medievale_moyen-age_medievalismePour clore cet article, ajoutons que depuis 2013, même s’il continue à éditer régulièrement le bulletin en ligne de la Société François Villon, ce très sérieux docteur en philosophie et universitaire émérite étant, par ailleurs (comme on s’en doutait déjà), passionné de poésie et même de musique, a décidé de se dédier entièrement à cet art. Il joue et chante donc désormais ses propres compositions sur scène accompagné d’une l’autoharpe, (une variance américaine de la cithare). Sur ces aspects, vous pouvez consulter sa nouvelle bio ici (en anglais) : TennesseeBob Peckham.

En vous souhaitant une excellente  journée.

Frédéric EFFE
Pour moyenagepassion.com
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« Temps passé jamais ne retourne », Michault Caron Taillevent, le passe-temps, fragments (1)

poesie_medievale_michault_le_caron_taillevent_la_destrousse_XVe_siecleSujet : poésie, littérature médiévale, poète médiéval, Bourgogne, poète bourguignon, Bourgogne médiévale, poésie réaliste, temps,
Période : Moyen Âge tardif,  XVe siècle
Auteur : Michault (ou Michaut) Le Caron, dit Taillevent ( 1390/1395 – 1448/1458)
Titre : Le passe-temps

Bonjour à tous,

N_lettrine_moyen_age_passionous parlons aujourd’hui du Passe-temps de Michault le Caron dit Taillevent. C’est un poème assez long, six-cent cinquante et un vers et quatre vingt treize strophes pour être très précis et comme c’est aussi une véritable perle de poésie du XVe siècle, plutôt que d’en livrer quelques extraits épars, ou même de le publier en un seul bloc sans aucune explication, nous avons préféré le prendre dans l’ordre et publier ici les onze premières strophes, en vous fournissant quelques clés de vocabulaire et de lecture.

Œuvre d’anthologie ?

S’il est toujours délicat de souligner une partie d’une œuvre d’un auteur comme la plus importante sans prendre le risque de déprécier tout le reste, on peut à tout le moins constater que le passe-temps est une des poésies de Michault Taillevent qui aura le plus survécu au temps.  Disons cela toute proportion gardée car la poesie_litterature_medievale_passe_temps_michault_taillevent_XVe_moyen-age_tardifpostérité n’a pas réservé à ce poète médiéval la réputation qu’elle a pu concéder à d’autres et ce poète médiéval est encore aujourd’hui étudié dans un cercle qui concerne tout de même plus des spécialistes de littérature du moyen-âge tardif ou renaissant que le grand public. Il en fut semble-t-il autrement de son temps, d’ailleurs la présence de ce passe temps dans un nombre assez important de manuscrits l’atteste.

Pour mesurer encore le succès de cette poésie auprès de ses contemporains, on apprendra avec Pierre Champion (Histoire poétique du XVe siècle Tome 1, ed 1966) que l’expression « Contempler le passe-temps de Michault » a même été utilisée à l’occasion par certains auteurs, comme une locution proverbiale :

« … Faulte d’argent a tous propos lui fault
D’en brief ravoir a tousjours esperance
En contemplant le Passe Temps Michault…

Henri Baude . Ballade du gorrier bragard.  Pierre Champion (opus cité)

Pierre Chastellain, autre poète du XVe siècle, (proche de Michault et peut-être même disciple de ce dernier?) publiera d’ailleurs entre le passe-temps  et avant le testament de Villon, un contre passe-temps en réponse à notre auteur. Cette poésie de Chastellain qui ouvre sur un hommage à Michault et que l’on sait écrite après 1440  et peut-être même autour de 1448, permet d’ailleurs de déduire que le passe-temps dont on ne connait pas la date de publication précise, lui est forcément antérieur, même si c’est sans doute de peu. Sachant que Michault ne semblait plus en fonction à la cour de Bourgogne autour de 1448, on peut supposer qu’il rédigea le passe-temps autour de sa cessation d’activité, après ou même alors qu’il pensait bientôt ne plus l’être.

« En contemplant mon temps passé
Et le passe temps de Michaut,
J’ay mon temps perdu compassé
Duquel a present bien m’y chault.
Mais apres, souvent me souppe Ire
De temps perdu, dont fort me deulx »

Pierre ChastellainLe temps perdu.

On dit du passe-temps, et au moins de certaines de ses strophes qu’elles inspirèrent peut-être directement à Villon quelques vers de son testament. Il est vrai que certaines ressemblances sont assez troublantes. Ce sont en tout cas deux oeuvres contemporaines à quelques années près qui approchent magistralement la question du temps mais qui se signent aussi par l’usage du « je » ou d’un « moi » poétique qui soliloque et livre ses douleurs et ses drames tout au long de leur vers. Pierre champion (opus cité) dira même que le passe-temps de Michault est en terme de facture, pratiquement la seule oeuvre que l’on puisse rapprocher de celle de Villon, dans le courant du XVe siècle.

Sur ces similitudes (et leurs limites) entre le temps dans les deux oeuvres, et leur usage du « Je » poétique, quelques experts de littérature médiévale se sont penchés dans le détail sur le sujet et l’on pourra utilement s’y référer : Poétiques du quinzième siècle –  Situation de François Villon et Michault Taillevent, Jean-Claude Mühlethaler (1983) ou encore  Villon at Oxford: The Drama of the Text. Proceedings of the Conference Held at St Hilda’s College, Michael Freeman & Jane H. M. Taylor (1996) .

Emergence d’un « je » poétique au XVe siècle

Simple passe-temps comme on pouvait considérer alors la poésie (tout en la prenant très au sérieux), ces vers de Michault autour du temps qui passe et « jamais ne retourne » et qui mettent au coeur de leur poésie ce « Je », sont, selon certains auteurs, dont Robert Deschaux, ( Un poète bourguignon du XVe siècle, Michault Taillevent, 1975), annonciateurs de nouvelles formes poétiques du XVe plus subjectives et plus expressives dont Villon se fera l’un des représentants les plus éclatants.

michault_taillevent_caron_passe_temps_poesie_litterature_medievale_moyen-age_tardifAyant dit cela, on se souviendra tout de même, avec Michel Zink que le « Je » n’est pas une invention propre de la poésie du XVe siècle, même s’il fait un peu l’effet d’une exception hors des thèmes amoureux dans les siècles précédents. On n’a pu, en effet, en trouver les traces  dans la poésie des goliards,  mais aussi chez un Rutebeuf  au XIIIe siècle (qu’on a d’ailleurs parfois décrit lui-même comme un, sinon « Le », précurseur  dans ce domaine), ou encore, contemporain de ce dernier chez un Colin Muset et, plus tard dans le temps, dans certaines ballades du XIVe siècle signées d’Eustache Deschamps .

Le passe-temps de Michault Taillevent,
oeuvre de maturité

Le temps a passé sur le jeune joueur de farces de la cour de Bourgogne et cette poésie est clairement une oeuvre de la maturité. A l’insouciance de la jeunesse et de ses jeux, vient succéder la peur de la vieillesse, autant que celle, plus angoissante encore de la pauvreté. Sans rente et redoutant les affres de la misère, Michault opposera dans des vers poignants le vieillard pauvre et misérable  à celui qui a su prévoir. A qui la faute s’il risque de se retrouver bientôt sans  rien ? Il s’en prendra à lui-même et à ce temps qu’il n’a pas su dompter. Dans les strophes que nous publions aujourd’hui, il n’entre pas encore aussi loin dans ses développements et pose le cadre.

poesie_medievale_faste_cour_de_bourgogne_philippe_le_bonComme la déroute, cette poésie n’est, à l’évidence, pas le résultat d’une commande. Sans dénigrer les autres poésies de Michault, on se prend quelquefois à regretter que ses fonctions et son long office au service de Philippe le Bon, à la cour de Bourgogne ne lui aient donné plus de temps  pour laisser voguer sa plume sur des oeuvres plus personnelles du type de celle-ci. Bien sûr, ayant dit cela, il faut encore être juste et souligner la valeur de témoignage historique qu’il nous a laissé à travers ses autres poésies plus proches du pouvoir, de ses fastes et de ses enjeux.

Au niveau compréhension, ce texte en moyen français présente peu de difficultés. On notera que chaque strophe finit par un locution en forme de proverbe.

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Je pensoie, n’a pas sept ans,
Ainsy qu’on pensse a son affaire
Par maniere d’un passe-temps,
Ou si come en lieu de riens faire.
Mais a renouer & reffaire
Trouvay trop en mes pesans fais:
A longue voye* (chemin, trajet) pesans fais.  

Et quant j’euz bien partout visé,
Il m’ala aprez souvenir
De la joye du temp(s) passé
Et de la douleur advenir,
Ou il me convendra venir,
Car ainsi va qu’ainsi s’atourne:
Temps passé jamais ne retourne.

Com(m)e j’euz maule & empraint  (1) 
Mes faiz & en mon cuer escript,
Pensay ainsy que cilz* (comme celui) qui craint
Que j’avoye mon preterit*, (passé)
jeune de co[u]rps & d’esperit,
Gaste* (perdu, gâché), dont fuz tout esperdu:
Ou conseil n’a tout est perdu.

Ou futur gisoit l’aventure
De ma douleur ou de ma joye.
Autre espoir, n’autre couverture,
N’autre remede n’y songoye,
Fors qu’en penssant mon frain rongoye
En la face de mes ans cours:
A mal prochain hastif secours. (2) 

De ma jeunesse ou meilleur point,
Ainsi que ses ans on compasse,
Encores ne pensoye point
Comment temps s’en va & se passe
En peu d’eure & en peu d’espasse,
Et la nuit vient aprez le jour:
Contre joye a plaisant sejour.

A celle heure que je vous compte
Le temps joieusement passoye.
Je ne tenoye de riens compte,
A nulle chose ne pensoye,
Ou pend file & ou pend soye
Qu’on fait aux champs, qu’on fait aux bours:
Cuer lyet* (joyeux) ne songe que tambours.

Je n’estoye mort ne målades,
Ne fortune ne me troubloit.
Je faisoye ditz & ballades,
Et le temps mes doulz ans m’embloit*, (me déroba)
Et a celle heure me sembloit
Qu’il ne me fauldroit jamais rien:
De maison neufve viel merrien*. (vieilles planches, vieux bois)

Comme cil quy jeunesse mayne,
Pour le temps qui si me plaisoit,
Ung moys ne m’estoit pas sepmaine,
Ung an qu’un mois ne me faisoit.
Mon cuer en riens ne meffaisoit
Qu’a maintenir joyeusete:
Tousdiz* (toujours) n’est pas joieux este.

Ainsy jeunesse me maintint,
Et quant j’euz beaucoup sejourne,
Dedens la sienne ma main tint
Et dit qu’estoit a ce jour ne
Le bien ou j’estoye adjourne.(dans lequel je me tenais)
Elle me bailla ce lardon* (raillerie, moquerie):
Jeune poucins de peu lardon. (3) 

Neantmoins tousjours com(m)e dessus
Mon fait en jeu s’entretenoit.
Point ne cuidoie estre decus,
D’enviellir ne me souvenoit;
Et jour aloit, et jour venoit,
Et le jour se passoit tousdiz:
Quant bergier dort, loup vient tousdiz. 

Ainsi dont en jeunesse estoye,
Sans tenir rigle ne compas,
Et le temps par mes ans hastoye* (de hâter),
Que je ne m’en guettoye pas. (guetter. sans que j’y prête attention)
Viellesse m’attendoit au pas
Ou elle avoit mis son embusche:
Qui de joye ist* (de eissir, issir : sortir)  en dueil trebusche.

(1) Mouillé et imprégner : remis en mémoire, repasser en revue
(2) Quand le mal/la maladie est proche, il faut se hâter d’agir
(3) La jeunesse manque d’expérience ou est insouciante,

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Pour un portrait et une biographie détaillée de Michaut, vous pouvez valablement consulter : Michault le Caron dit Taillevent, poète bourguignon du XVe siècle.

En vous souhaitant une très belle journée.

Frédéric EFFE
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