Sujet : poésie satirique, poésie médiévale, poète breton, ballade médiévale, ballade satirique, auteur médiéval, Bretagne Médiévale. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean (Jehan) Meschinot (1420 – 1491) Titre : Tout est perdu par default de raison. Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF Ouvrage : poésies et œuvres de Jean MESCHINOT, édition 1493 et édition 1522.
Bonjour à tous,
u Moyen Âge tardif, le poète et écuyer breton Jehan Meschinot s’adonne à la poésie politique et morale. Virtuose du verbe et de la rime, il a notamment légué à la postérité un ouvrage intitulé Les Lunettes des Princes, petit précis qui s’apparente un peu à un miroir des princes et dans lequel il dénonçait les vices de son temps autant qu’il partageait certains de ses déboires. L’ouvrage connut en son temps un beau succès et fut bientôt relayé par les premières imprimeries qui ouvraient alors une nouvelle ère sans précédent aux écrits et à leurs auteurs.
En plus de divers ballades, rondeaux et autres poésies, on peut également ajouter aux productions les plus remarquées de Jean Meschinot, ses vingt-cinq ballades satiriques contre le pouvoir politique en place.
Pour former ces dernières, il emprunta ses envois à une longue diatribe de Georges Chastelain. Ce poète flamand officiant à la cour de Bourgogne s’y signalait alors pour ses nombreux écrits et, en particulier, ses chroniques historiques. Mais Chastelain avait aussi rédigé une poésie intitulée Le Princedans laquelle il dénonçait les vices des mauvais gouvernants et surtout le règne de Louis XI. La Bourgogne et la Bretagne trouvèrent alors cause commune contre la couronne française et se rejoignirent en poésie sous la plume des deux plus talentueux auteurs de leur province respective.
Ronde des vices dans un monde en perdition
Pour varier un peu, la ballade que nous vous proposons aujourd’hui ne fait pas partie du corpus des 25 ballades satirique ; Louis XI et sa couronne y sont donc moins directement ciblées. le poète médiéval y adresse plutôt une certaine folie des temps, accompagnée d’une ronde incessante des vices. On y retrouvera leur cohorte habituelle entre luxure, gloutonnerie, avarice, envie, orgueil, paresse,… Face à ce tableau dramatique d’une dépravation qui lui semble toucher toute chose et dans un monde où guerre, cruauté et pauvreté règnent dans l’indifférence générale, Meschinot n’aura pour seul recours que de s’en remettre à la seule autorité capable selon lui d’y mettre de l’ordre : le Tout Puissant. Hors de lui point de salut, le monde sera définitivement perdu.
Notre auteur breton n’est, certes, pas le premier poète du Moyen Âge à soulever le sujet de valeurs en perdition. Un peu avant lui, Eustache Deschamps y avait dédié de nombreuses ballades. En remontant quelques siècles auparavant, Rutebeuf s’y adonnait lui aussi à sa manière dans sa poésie sur l’Estat du monde. A travers tous ces auteurs, comme c’est aussi le cas chez Meschinot, il est toujours question, bien sûr, de valeurs chrétiennes en déroute et les références à la bible et aux évangiles sont presque toujours omniprésentes, explicitement, ou entre les lignes.
Pardon d’insister un peu sur cet aspect, cela paraîtra une évidence à tout ceux qui étudient un peu sérieusement les temps médiévaux ou ceux qui sont coutumiers de ce site. Dans sa réalité politique et sociale, comme dans ses mentalités et sa littérature, le Moyen Âge occidental est profondément chrétien, n’en déplaise à certains modernes peu éclairés qui soutiennent, quelquefois, c’était un peu plus « une auberge espagnole » ou n’en déplaise encore à ceux qui pourraient trouver la question religieuse un peu « encombrante » rétrospectivement, pour des raisons diverses et qui préféreraient en faire l’économie. En réalité, si l’on veut demeurer un peu sérieux intellectuellement, on ne peut pas éluder la dimension chrétienne du Moyen Âge occidental. On la retrouve partout et c’est simplement une donnée incontournable. Voilà, c’est dit.
Quant aux vices de ses contemporains et la tristesse de son monde, et pour y revenir, Meschinot les dénonça lui-même, plus qu’à son tour, dans d’autres textes que celui du jour. On se souvient, par exemple, de ces vers issus de sa ballade des Misères du monde :
Vertus s’enfuient, péché partout abonde : C’est grant pitié des misères du monde !
On notera toutefois que dans la poésie étudiée ici, l’envoi du poète breton prend des accents particulièrement désespérés même s’il demeure difficile de savoir s’ils se rattachent à un contexte historique précis et auquel, le cas échéant.
Aux sources médiévales de cette ballade
Vous pourrez retrouver cette ballade dans le Manuscrit Français 24314 de la BnF. Daté du XVe siècle, cet ouvrage médiéval est entièrement dédié aux poésies de Meschinot. Il est à la libre consultation sur gallica.fr. De notre côté, pour sa retranscription en graphie moderne, nous nous sommes appuyés sur les éditions suivantes : Jehan Meschinot, escuier, en son vivant grant maistre d’hostel de la royne de France, Nicole Vostre (1522) et poésies de Jehan de Meschinot, Edition Étienne Larcher, Nantes (1493).
Tout est perdu par default de raison dans la langue originale de Jean Meschinot
NB : pour vous aider à mieux décrypter le moyen français de cette ballade, nous vous fournissons quelques clés utiles de vocabulaire.
Orgueil a lieu avecques les humains Envie mect debat en plusieurs lieux Avarice porte dommage a maints Ire a grant bruyt entre jeunes et vieulx Gourtonnie fait excez merveilleux Luxure veult tout mener a la corde Paresse en fin a nul bien ne s’acorde Guerre s’esmeut a bien peu d’achaison (occasions) Crudelité (cruauté) chace miséricorde Tout est perdu par default de raison.
Folie quiert (de quérir) tout avoir en ses mains Oultrage ayme son plaisir pour le mieulx Pourete (pauvreté) vient o ses dards inhumains Maleur mettra se dit fin a nos jeux Impatience estonnera les cieulx Iniquité destruict paix et concorde Rigueur n’attend fors que toute discorde Exil mettra le feu en la maison Homme ne vault (veult) mener vie aultre que orde (mauvaise, laide) Tout est perdu par default de raison.
Confusion nous conduit soirs et mains (matins) Langueur nos mect la mort devant les yeulx Travail en vain nous fait d’angoisse plains Misere accourt qui gette dards mortelz Tourment nous rend comme gens furieux Dangier guyde le mal qui nous aborde Courroux s’attend que force est qu’il nous morde Necessité fera des maulx foison Estrif (conflit, debat, querelle) est prest a saillir de la borde (bord, maison) Tout est perdu par default de raison.
Prince puissant quand bien je me recorde (me remémore, m’en souviens) Toute bonté se deffait et discorde (se détruit et diverge) Vices regnent par tout ceste saison Se dieu piteux (compatissant) a lui ne nous accorde (réconcilie), Tout est perdu par default de raison.
En vous souhaitant une belle journée. Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : en tête d’article, vous trouverez les pages du manuscrit médiéval Ms Français 24314 de la BnF, correspondant à la ballade du jour, ainsi que l’enluminure représentant l’auteur breton présente au début de cet ouvrage du XVe siècle.
Sujet : auteur, romans historiques, édition, Jeanne d’Arc, actualité littéraire, guerre de cent ans, aventure, saga historique, fiction médiévale, siège d’Orléans, Jeanne d’Arc, aventure médiévale Période : XVe siècle, Moyen Âge tardif Titres : Les trois pouvoirs, T4 l’Envoyée de Dieu Xavier Leloup, Editions La Ravinière (2023)
Bonjour à tous,
l’occasion de la sortie du 4ème tome de la saga médiévale des Trois pouvoirs intitulé « L’envoyée de Dieu », nous avons, à nouveau, le plaisir de recevoir Xavier Leloup, auteur, mais également éditeur aux Editions La Ravinière qu’il a fondées, il y a déjà quelques années.
Un Entretien exclusif avec Xavier Leloup des éditions la Ravinière
Propos recueillis par Frédéric EFFE le 30 juin 2023
Mpassion : Bonjour Xavier, Nous sommes, encore une fois, heureux de vous recevoir. Que de temps passé depuis notre dernière entrevue. Vous êtes en forme, j’espère ?
Xavier L : Je me trouve d’autant plus en pleine forme que j’ai de nouveau l’occasion de m’entretenir avec vous, cher Frédéric !
Actualité des éditions & réédition d’Ivanhoé
« Ivanhoén’est pas seulement un grand roman de chevalerie et d’aventures. C’est aussi un livre débordant de sensualité et de romantisme, ce qui le rend intemporel. »
Mpassion : Le plaisir est partagé ! Visiblement, les éditions La Ravinière continuent sur leur lancée et leur projet de proposer des romans historiques ayant pour cadre le Moyen Âge. Après Quentin Durward qui avait fait l’objet d’une précédente entrevue, on les a vues rééditer, tout récemment, Ivanhoé de Sir Walter Scott, autre ouvrage fictionnel du grand écrivain anglais, sur toile de fond historique et médiévale.
C’est même d’ailleurs le premier roman de Walter Scott qui se déroulait au Moyen Âge et, il a été plutôt bien accueilli dès sa parution. puisqu’il a même assuré le succès de son auteur en Europe, en consacrant, au passage, une certaine mode du roman historique.On se souvient aussi qu‘il avait été adapté sur grand écran par Richard Thorpe, en 1952 mais depuis le livre semblait un peu tombé dans l’oubli. Peut-être pourriez-vous nous dire un mot du roman et de ce choix de publication ?
Xavier L : Ivanhoé est un grand classique dont beaucoup ont entendu parler grâce au cinéma, mais sans jamais l’avoir réellement lu, ou lu seulement en version abrégée. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu le faire découvrir à une nouvelle génération de lecteurs en le rééditant dans sa version intégrale et, qui plus est, traduite par Alexandre Dumas. L’année où ses Trois Mousquetaires font justement l’objet d’une nouvelle adaptation sur grand écran, le moment ne pouvait pas être mieux choisi !
Ivanhoé, ce sont d’abord de fabuleuses scènes de tournois et d’affrontements à la lance, des sièges de châteaux mettant aux prises des personnages aussi célèbres que Robin-des-Bois, frère Tuck ou Richard-Cœur-de-Lion, ce roi anglais revenu des croisades pour reconquérir son trône. Mais c’est aussi un roman d’amour, avec un trio amoureux s’articulant autour du chevalier chrétien Ivanhoé, de la princesse saxonne Rowena ainsi que de la séduisante juive Rebécca (incarnée par Elisabeth Taylor dans le film de Richard Thorpe), elle-même objet de la passion dévorante du vil templier Brian de Bois-Guilbert.
Bref, Ivanhoé n’est pas seulement d’un grand roman de chevalerie et d’aventures. C’est aussi un livre débordant de sensualité et de romantisme, ce qui le rend intemporel.
Le goût des romans historiques et médiévaux
« … le défi du roman historique consiste à se faire une place entre des livres d’histoire, certes intéressants, mais qui n’ont rien de romanesques et des ouvrages de Medieval fantasy, qui jouent avec les codes médiévaux sans pour autant être de véritables romans historiques… »
Mpassion :Pour rester encore un peu sur le sujet des éditions La Ravinière, et avant de parler de la Saga des Trois Pouvoirs et de la sortie de son quatrième opus : en plus de votre saga historique on en est donc maintenant à 2 rééditions de Sir Walter Scott, et un autre ouvrage de portraits sur Les Grandes Dames qui ont fait l’histoire de la guerre de Cent Ans, signé de votre plume.
Avec le recul de plus de 2 ans d’existence, quel est l’accueil réservé par le public à ce positionnement de votre maison d’édition sur les fictions ou les essais historiques portant sur la période médiévale ? On sait que « le Moyen Âge est à la mode », Jacques le Goff nous l’avait confirmé, mais en dehors des fêtes médiévales, des séries télévisées ou des jeux vidéos, qu’en est-il dans le monde du livre ? L’enthousiasme des lecteurs est-il au rendez-vous et surtout, qu’en est-il de l’accueil presse ou des revues spécialisées ? Autre question que j’ai en tête et que je vous pose dans la foulée, y a-t-il encore une place sur les rayons des libraires pour les fictions sur fond historique dans un monde du livre qui semblait jusqu’à très récemment, sérieusement investi par les univers médiévaux fantasy inspirés des cultures anglo-saxonnes. Dites-nous tout, le roman historique fait-il glorieusement front au Medieval Fantasy et comment trouve-t-il sa place ? Et que pourrait-on faire, le cas échéant, pour améliorer la situation ?
» …Depuis son lancement, La Ravinière a réussi à conquérir plus de 9 000 lecteurs. »
Xavier L : Il existe indéniablement une forte demande pour le roman historique, en particulier médiéval. Le succès de mes dédicaces en atteste, qui me permettent de rencontrer de nombreux amateurs du genre souvent très enthousiastes. Il en va différemment des libraires, généralement moins enclins à s’intéresser à un genre qui ne répond guère à leurs goûts personnels. À cela s’ajoute une offre éditoriale très abondante, qui monopolise leur temps de lecture. Il s’agit donc de prendre le temps de les convaincre et, surtout, de leur faire lire les ouvrages afin qu’ils en fassent ensuite la promotion auprès de leurs clients.
Dans ce contexte, le défi du roman historique consiste à se faire une place entre des livres d’histoire, certes intéressants, mais qui n’ont rien de romanesques et s’adressent le plus souvent à une clientèle masculine et âgée, et des ouvrages de médiéval fantasy, qui jouent avec les codes médiévaux sans pour autant être de véritables romans historiques et font baigner le lecteur dans un univers en réalité assez déraciné. L’objectif d’une maison d’édition comme la mienne est donc de se constituer une communauté de fidèles en jouant sur tous les leviers permettant de les toucher : librairies, réseaux sociaux et media (locaux ou nationaux), rencontres-dédicaces. C’est ainsi que depuis son lancement, La Ravinière a réussi à conquérir plus de 9 000 lecteurs.
Les Trois Pouvoirs & l’arrivée de « l’envoyée de Dieu »
« …C’est alors que se répand une étonnante rumeur : une jeune paysanne venue des marches du royaume aurait été envoyée par Dieu pour lever le siège d’Orléans et faire sacrer le Dauphin Charles, « qui doit être vrai et est vrai roi de France».«
Mpassion : Bravo, en tout cas, voilà qui fait plaisir à entendre ! Venons-en maintenant au 4eme opus de la saga des Trois Pouvoirs sous-titré L’envoyée de Dieu ? Est-ce que vous pouvez nous toucher un mot des 3 premiers ouvrages, afin de recontextualiser un peu mieux l’arrivée de celui-ci pour nos lecteurs ? Et peut-être aussi nous dire un mot de son intrigue sans trop la « divulgâcher », comme disent nos amis québécois ? Nos lecteurs vont également se demander s’il faut avoir lu les trois premiers ouvrages pour entrer dans celui-ci ?
Xavier L : Quand le livre commence, nous nous trouvons à la fin de l’hiver 1429. Assiégée depuis des mois par les Anglais, la ville d’Orléans est tout près de se rendre : 22 ans, déjà, que le duc d’Orléans, frère du roi Charles VI, a été assassiné en plein Paris, rue Vieille-du-Temple – 14 ans que l’armée de Charles VI a été défaite par les troupes du roi anglais Henri V à Azincourt – 10 ans, enfin, que Jean Sans Peur, le duc de Bourgogne, a été assassiné, à son tour, sur le pont de Montereau.
Dans ce contexte, la France se divise en trois : une France franco-anglaise gouvernée depuis Paris par le duc de Bedford, une France bourguignonne, celle du duc de Bourgogne Philippe le Bon, et enfin une France française ou « armagnac » dont le roi n’est autre que le roi Charles VII, dernier descendant de la dynastie des Valois.
Au milieu de ces trois puissances, une femme : Yolande d’Aragon, la puissante duchesse d’Anjou. Belle-mère du roi de France, elle soutient Charles VII de toutes ses forces en même temps qu’elle cherche à dénouer l’alliance anglo-bourguignonne. C’est alors que se répand une étonnante rumeur : une jeune paysanne venue des marches du royaume aurait été envoyée par Dieu pour lever le siège d’Orléans et faire sacrer le Dauphin Charles, « qui doit être vrai et est vrai roi de France ». Mais certains, n’ayant aucun intérêt à ce que cette « Pucelle » parvienne jusqu’à Charles VII, vont tout faire pour l’empêcher de le rencontrer à Chinon…
Il n’est donc nullement nécessaire d’avoir lu les trois premiers tomes pour se plonger dans ce nouvel opus. Dix années se sont écoulées depuis le tome 3, dont la plupart des protagonistes sont morts ou disparus. Les fidèles de la saga auront toutefois le plaisir d’en retrouver les principaux héros, à savoir l’ancien prévôt de Paris Guillaume de Gaucourt, la duchesse d’Anjou Yolande d’Aragon et enfin le chef des brigands parisiens, le mystérieux roi des Tartas. Sans oublier le fidèle Dimenche Le Loup, bien entendu. Avec L’envoyée de Dieu, c’est en quelque sorte un nouveau cycle qui commence. Et un cycle au sein duquel Jeanne d’Arc va jouer les tous premiers rôles.
Mpassion :C’est, il est vrai, une arrivée très attendue de Jeanne d’Arc dans la saga et qui met particulièrement en valeur la partie de son épopée qui se déroule dans une province chère à votre cœur, la Touraine.
Xavier L : De mon point de vue de tourangeau, le local rejoint ici le national puisque les premiers mois de l’épopée johannique se sont historiquement déroulés en Touraine. Sainte-Catherine-de-Fierbois, Chinon, Loches, Tours, Blois… c’est en quelque sorte à un voyage en Val de Loire qu’est convié le lecteur, à mesure qu’il suit la Pucelle dans ses pérégrinations.
J’ai également pris soin de décrire aussi précisément que possible le siège d’Orléans, qu’il s’agisse des « bastilles », ces fameuses tours édifiées autour de la ville par les Anglais, du positionnement des troupes, ou du déroulé des fameux conseils de capitaines. In fine, je crois donc que le lecteur aura une idée assez précise des différents théâtres de guerre au sein desquels s’est illustrée Jehanne d’Arc.
La Jeanne d’Arc de Xavier Leloup
» Une autre caractéristique du roman tient, il me semble, à son caractère immersif. J’ai souhaité plongé d’emblée le lecteur dans le feu de l’action, qu’il s’agisse des intrigues de cour ou de la libération d’Orléans. «
Mpassion : Autre question un peu inévitable et que nos lecteurs vont certainement se poser. Entre historiens, auteurs de fiction et même scénaristes de cinéma, d’Anatole France à Jules Michelet, Régine Pernoud, Georges Duby, Max Gallo en allant même jusqu’à Philippe de Villiers ou Luc Besson, vous n’êtes pas le premier à vous attaquer à l’épopée de la légendaire pucelle d’Orléans. On n’a sans doute pas fini d’épuiser le sujet du reste. Mais même si vous vous situez bien plus dans l’univers de la fiction que du biopic, la question qui nous intéresse ici est qu’est-ce qu’elle a de particulier votre Jeanne d’Arc ? Comment vous l’êtes-vous appropriée ? Et peut-être, encore, si ce n’est pas trop personnel, qu’est-ce qui vous a touché le plus chez elle ?
Xavier L : Pour être honnête, j’étais au départ assez intimidé à l’idée de mettre en scène une icône telle que Jehanne d’Arc, à la fois héroïne nationale et Sainte, symbole mondial de la pureté et du courage. Et puis, sa personnalité a fini par s’imposer à moi. Celle qui n’est au départ qu’une mystérieuse prophétesse se révèle progressivement comme un véritable chef de guerre, quitte pour cela à s’opposer frontalement aux plus grands seigneurs du royaume et à désobéir à leurs ordres.
Ce que le roman montre, je crois assez bien, est que si le personnage a d’abord laissé sceptique, sa fougue, sa détermination, sa foi en Dieu comme en elle-même, sa pureté d’âme et de cœur, vont finalement réussir à emporter l’adhésion des plus sceptiques. À Orléans, tout le monde semble lui répéter que la libération de la ville est impossible, que les « Anglois » sont invincibles, qu’il vaut mieux attendre de nouveaux renforts. À quoi elle rétorque avec obstination qu’Orléans finira par être libéré sous peu et, qu’au contraire, il n’y pas une seule minute à perdre pour lancer l’assaut.
« Et c’est d’ailleurs bien là tout l’intérêt d’un roman historique que de restituer le parfum d’une époque, d’en récréer l’ambiance et l’atmosphère. Le récit mêle aussi aux événements historiques des scènes au ton plus léger, voire franchement comiques. »
Mpassion : Jeanne est donc venue à vous, en quelque sorte, par ses faits et les éléments historiques qu’on en connaît.
Xavier L : Oui. Une autre caractéristique du roman tient, il me semble, à son caractère immersif. J’ai souhaité plongé d’emblée le lecteur dans le feu de l’action, qu’il s’agisse des intrigues de cour ou de la libération d’Orléans. « On est vraiment transporté dans la scène », en disent d’ailleurs les premiers lecteurs. Et c’est d’ailleurs bien là tout l’intérêt d’un roman historique que de restituer le parfum d’une époque, d’en récréer l’ambiance et l’atmosphère.
Le récit mêle aussi aux événements historiques des scènes au ton plus léger, voire franchement comiques. Car l’objectif est bien de divertir. Il n’y a cependant là rien de bien nouveau, Alexandre Dumas n’ayant pas procédé autrement dans des romans tels que Vingt Après ou Les Trois Mousquetaires. Dernier point, la part de mystère laissée au personnage. Le roman ouvre des portes, lance des pistes, mais finalement ne tranche rien, laissant le lecteur se forger sa propre opinion sur Jehanne d’Arc.
Moyen Âge historique & fictionnel, où placer le curseur ?
« … La part de vérité historique est prépondérante, en particulier en ce qui concerne la levée du siège d’Orléans. Reste que par définition, un roman historique n’est pas un livre d’histoire… »
Mpassion : Et c’est très appréciable ! Autre question, pour anticiper un peu sur les critiques qu’on entend déjà d’ici par certains puristes qui vous accuseront peut-être de prendre quelques libertés avec l’histoire de France et de remplir les blancs à votre manière, qu’est-ce que vous leur répondez ? Pour être très clair, on reste ici dans une fiction romanesque sur fond historique, il n’y a donc pas de prétention de restitution d’un Moyen Âge strictement historique, pas d’avantages que de révélation de faits nouveaux sur l’histoire de Jeanne d’Arc. Mais peut-être pourriez-vous nous redire un mot de votre processus de rédaction ? Quelle est la part du réel et du fictionnel ? La part de références et la part plus libre ou disgressive ? Où se situe la prétention historique ? Et finalement aussi, à qui se destinent d’abord vos romans ?
Xavier L : Lors des dédicaces, les lecteurs me demandent très souvent quelle est la part de vérité historique dans l’histoire que je leur dépeins. Et à moi, alors, de leur répondre : « 90% de ce que je viens de vous raconter est vrai ! ». Il n’en va pas différemment dans ce nouvel opus, où la part de vérité historique est prépondérante, en particulier en ce qui concerne la levée du siège d’Orléans. Reste que par définition, un roman historique n’est pas un livre d’histoire. Lorsqu’il l’ouvre, le lecteur doit donc accepter que tout n’y soit pas strictement véridique mais, dans l’ensemble, vraisemblable.
En l’occurrence, la quasi-totalité des propos que Jehanne d’Arc tient dans le livre sont du verbatim. J’ai bien sûr pris quelques libertés avec l’histoire officielle, ajoutant ici ou là des sous-intrigues et des personnages imaginaires, de l’amour, du psychologique, mais en refermant L’envoyée de Dieu, le lecteur en aura tout de même beaucoup appris sur « la Pucelle ». Ce roman s’adresse donc aux lecteurs de tous âges et de tous horizons, quelle que soit leur culture historique.
Une production TV ou cinématographique en vue ?
Mpassion : Sur un autre sujet qui ne manquera pas d’intéresser les amateurs de productions télévisuelles ou cinématographiques, j’ai lu, me semble-t-il dans un article de la presse tourangelle que des contacts avaient été pris auprès de producteurs pour une éventuelle mise à l’écran de la série. Rumeurs ou faits avérés ? Verra-t-on bientôt votre Jeanne d’Arc à l’écran ?
Xavier L : Un grand producteur français s’intéresse en effet au projet, même si je ne peux pas vous en dire davantage pour le moment. Nous verrons. Mais si Les Trois Pouvoirs sont portés à l’écran, croyez-bien que les lecteurs de Moyenagepassion en seront les premiers informés !
Séances dédicaces et projets futurs
Mpassion : Bien, nous saurons apprécier le suspense et en pas insister, en espérant que tout cela voit le jour. Les vraies productions françaises sur fond de Moyen Âge historique se font trop rares. Un dernier mot pour donner envie à nos lecteurs d’acquérir l’ouvrage et peut- être aussi quelques informations sur votre actualité et vos projets futurs même si nous vous cueillons là en plein actualité de ce 4eme tome et qu’il va sûrement vous occuper pour les mois à venir.
Xavier L : Je me trouve actuellement en pleine période promotion, qui m’a vu notamment passer sur TV Tours et enchaîner les signatures partout en France. Je donne d’ailleurs rendez-vous à vos lecteurs le samedi 8 juillet à partir de 10h à l’excellente librairie d’Amboise Lu et Approuvé pour une nouvelle dédicace des Trois Pouvoirs. Située à seulement quelques centaines de mètres d’une forteresse royale, je ne pouvais sans doute rêver meilleur endroit ! Les lecteurs d’Histoire Magazine pourront enfin retrouver mes deux derniers livres recensés dans son numéro d’été.
Mpassion : Merci pour vos réponses et pour cette entrevue. On renvoie donc nos lecteurs sur le site officiel des Editions la Ravinière ou chez tout bon libraire pour y débusquer le 4eme tome des Trois pouvoirs et les autres ouvrage déjà disponibles.
Xavier L : Merci à vous, Frédéric, et à bientôt !
Retrouvez nosentretiens en compagnie de Xavier Leloup.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du monde médiéval sous toutes ses formes
NB : en arrière plan de la photo de l’auteur, sur l’image d’en-tête, on retrouve un autre détail enluminure extraite du manuscrit médiéval Ms Français 5054 : Jeanne d’Arc assiégeant Paris. Vigiles de Charles VII de Martial d’Auvergne (1430-1508). Ce manuscrit superbement illustré, daté de la fin du XVe siècle (vers 1485) peut être consulté Gallica.fr.
Sujet : poésie satirique, poète breton, ballade, satire, poésie politique, auteur médiéval, Bretagne médiévale, oïl, moyen français. Période : Moyen Âge tardif, XVe siècle Auteur : Jean Meschinot (1420 – 1491) Titre : Pource que l’œuvre en est desnaturelle Manuscrit médiéval : MS français 24314 BnF Ouvrages : poésies et œuvres de Jean MESCHINOT , édition 1493 et édition 1522.
Bonjour à tous,
ujourd’hui, nous repartons en direction de la Bretagne médiévale, non point celle du roman arthurien et de sa « matière de Bretaigne » mais celle, politique et satirique du poète et soldat Jehan Meschinot.
Nous sommes au cœur du XVe siècle, dans une France troublée, sous la main de Louis XI. Entre grogne du peuple et révolte des barons, un certain nombre d’auteurs et poètes d’alors gronde contre les abus de la couronne. Ce fut notamment le cas du chroniqueur flamand Georges Chastelain, officiant à la maison de Bourgogne. A la suite de ce dernier, Jehan Meschinot, lui-même au service des ducs de Bretagne, rédigea 25 ballades satiriques contre le pouvoir central français et son roi. Il se servit notamment du texte « Le Prince » de Georges Chastelain, pour lui emprunter les envois de ses poésies.
On peut retrouver ces 25 ballades médiévales sans concession de Meschinot à la fin de certaines éditions des Lunettes des Princes, ouvrage le plus célèbre de Meschinot, sur les bons usages du pouvoir politique et les exactions de ce dernier. De nature fortement critique, elles pointent donc du doigt les abus que faisait peser le règne de Louis XI sur le peuple d’alors, autant qu’elles entendent souligner la corruption et les vices du souverain. On y retrouve aussi clairement le mépris et la haine qu’inspire alors ce dernier au poète breton.
Pouvoir abusif & valeurs en chute libre
La ballade du jour apparaît comme la 22ème de la série. Cette fois, c’est la dimension contre-nature ou dénaturée du pouvoir que Meschinot met en exergue. En opposant l’héritage des bons et vertueux princes du passé, il dénonce une « valeur » des puissants et des gens de pouvoir en chute libre.
Menteurs, corrompus, convoiteux, à l’inverse de ceux qui les ont précédés, ces nouveaux seigneurs que voit œuvrer Meschinot lui apparaissent comme sans foi ni loi, ne pensant qu’à piller et guerroyer entre eux. Fats et imbus d’eux-mêmes, ils s’autoproclament « parfaits ». Pourtant pour l’auteur médiéval, le verdict est sans appel : ils ne sont même pas les ombres ou les reflets des pères de passé, mais bien plutôt des antithèses grossières et contrefaites.
Entre les lignes de cette ballade, on trouvera encore l’idée d’une classe de lourdauds, héritiers du pouvoir et qui ne recherchent que ses avantages. Pour le poète breton, cette classe s’oppose, là aussi, clairement aux vertueux anciens qui eurent à conquérir les honneurs par leurs actes et ne les possédaient pas à la naissance. Pour finir, le poète exhortera tout de même ces pâles copies de pouvoir, criblées de vices et qui n’ont de seigneurs que le nom, à se retourner en arrière, en formant l’espoir qu’ils y trouvent quelque inspiration auprès de l’exemplarité des grands du passé, Au passage, il pourra ainsi se consacrer à des choses plus agréables à écrire que ces diatribes que la médiocrité des gens de pouvoir le force à coucher sur papier.
Aux sources anciennes de cette poésie
Vous pourrez retrouver cette ballade dans le manuscrit Français 24314 de la BnF. Cet ouvrage médiéval qui contient l’œuvre de Jean Meschinot est en libre consultation sur Gallica.fr. Nous concernant, pour la retranscription de la ballade du jour, nous nous sommes appuyés sur deux éditions différentes des Lunettes des princes : celle de 1522 de Nicole Vostre et une autre datée de 1493, imprimée à Nantes.
Si le sujet vous intéresse et en fouillant un peu, vous pourrez également débusquer un certain nombre d’éditions modernes contenant les Lunettes des Princes de Meschinot , suivies de ses 25 ballades contre Louis XI. Certains ouvrages ont été édités, ces dernières années, 0qui les proposent. Attention toutefois, toutes les éditions du marché ne les contiennent pas. Aussi, si vous décidez d’acquérir Les lunettes des princes assurez-vous que ces poésies de l’auteur breton s’y trouvent ; il serait dommage de passer à côté.
Pour ceux que l’œuvre en est desnaturelle Une ballade satirique de Meschinot
NB : bien qu’en apparence assez proche du français actuel, le moyen français de Meschinot peut réserver quelques difficultés. Nous vous fournissons donc quelques clefs de vocabulaire pour mieux le saisir.
Ou sont les bons qui aultrefois vesquirent Et qui vertus en leur beaulx jours acquirent O dieu, fay tant qu’aulcun d’iceulx ressourde Pour voir comment les honneurs qu’ils conquirent, Qu’eulx n’eurent pas, dès le jour que nasquirent, Sont a présent venus en gent beslourde (grossiers, lourdauds). Bien leur seroit a porter pesant fais, Quand ils verroient les deshonnestes fais Commis par ceulx que seigneurs on appelle, Qui ne tiennent vérité en langage Ne fermeté en faict : c’est cas saulvage Pour ce que l’œuvre en est desnaturelle (dénaturée, contre-nature).
Les prudes (probes, sages) gens en leur temps ne s’enquirent Fors de bonté et sagesse qu’ils quirent (quérir) Dont les meschans d’aujourd’hui tiennent bourde (considèrent sottise). Eureusement en aise se chevirent (s’exécuter, s’en acquitter), Et, a la fin, plains de grans ans se virent : Qui ne l’entend, de simplesse (simplicité), se hourde (se pare, se drappe) Doncques prince qui vous nommez parfaicts Et ne voulez ensemble vivre en paix Par union et amour fraternelle Mais l’autruy bien voulez et l’heritage C’est tres grant mal s’enrichir de pillage, Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.
A tous seigneurs je supply que se mirent (mirer) Aux vertueux qui, a bonté, se mirent (mettre) Et non a ceulx qui font la lime sourde (ignorent sournoisement). Leurs grans deffaulx et malice remirent Et facent tant que plus contre eulx ne m’irent(me mette en colère) Dont il faille que de mon lit ne sourde (ne me lève, sorte) Pour escrire de leurs vices jamais Ce me seroit ung dolent entremais (un divertissement douloureux). Mieux me plairoit raconter chose belle Que d’un seigneur ou homme de parage (de noble naissance) Qui n’a valeur emplus ou moins qu’ung page Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.
Prince qui porte et soustient les maulvais Contre les bons, l’honneur de son palais Et en perverse et honteuse querelle Celui conduyt un criminel ouvrage Qui amatist (abattre, flétrir) main noble et hault courage Pource que l’oeuvre en est desnaturelle.
Pardon encore de ce rapprochement mais, en la relisant dans le contexte social et politique actuel troublé, cette ballade ne nous semble guère avoir vieilli. Par delà son contexte historique et comme toute bonne poésie morale, elle résonne de la trahison des puissants sur leur peuple et des exactions politiques qui, des temps les plus reculés jusqu’aux plus récents, ont porté le visage de la tyrannie, de la corruption et de l’oppression.
En vous souhaitant une belle journée. Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.
NB : en tête d’article, vous trouverez les pages du manuscrit médiéval Ms Français 24314 de la BnF, correspondant à la ballade du jour, ainsi que la belle enluminure de l’auteur qui trône au début de cet ouvrage du XVe siècle.
ne fois n’est pas coutume, en cette fin de week-end de Pâques, nous partageons avec vous quelques enluminures médiévales autour de la passion du Christ. Au Moyen Âge, les bibles ou livres d’heures illustrées sont nombreux. Avec force détails, ils fournissent un moyen efficace de marquer les esprits, tout en soulignant les temps les plus forts de la religion catholique et du Christianisme.
Manuscrit médiéval, Add MS 49999
Ce livre d’heures du Moyen Âge central, daté de 1240, est actuellement conservé à la British Library. Référencé Add MS 49999, il y est connu également sous le nom de Livre d’heures de De Brailes ou The Dyson Perrins Hours. Vous pouvez le consulter en ligne sur le site de la bibliothèque nationale anglaise.
La crucifixion du Christ dans le Kings MS 5
Cette superbe bible médiévale un peu plus tardive est datée de la fin du XIVe siècle. Référence Kings MS 5 à la British Library où elle est conservée, on la connait encore sous le nom de Biblia Pauperum. Ce manuscrit ancien est originaire de Hollande et aurait appartenu à Marguerite de Clèves (1375-1411), épouse de Albert Ier de Hainaut . Vous pourrez, également le retrouver, dans son entier, sur le site de la British Library. Ici, nous n’avons sélectionné que les miniatures et enluminures en relation à la passion du Christ.
La passion dans le Ms Lat Nouv. Acq 183
Le MS latin Nouvelle aquisition 183 est un livre d’heures en latin très bien conservé et joliment enluminé, sur un peu moins de 170 feuillets. Daté du courant du XVe siècle, cet ouvrage ancien est actuellement conservé au département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale de France. Il peut lui aussi être consulté librement sur gallica.
La crucifixion dans le Royal MS 19 CI
Pour clore cette courte sélection autour de la passion du Christ, nous vous proposons la découverte du Bréviaire d’Amour de Maître Ermengaud. Daté du courant du XIVe siècle, ce manuscrit de Moyen Âge tardif en langue occitane est originaire de la région de Béziers. Il est également conservé en Angleterre et consultable directement sur le site de la British Library. Vous pourrez l’y retrouver sous la référence Royal MS 19 CI.
En vous souhaitant une belle journée.
Frédéric EFFE Pour moyenagepassion.com A la découverte du Moyen Âge sous toutes ses formes.